( un ) (tw: grossesse non désirée, mention d'adoption et d'avortement) Vous n'étiez pas vraiment prévus. Maman s'est retrouvée tremblante, le test de grossesse entre les doigts, mais n'a pas eu le courage d'avorter. Elle s'en est mordu les doigts, quand elle a découvert qu'elle attendait des jumeaux — et tous ses projets de, peut-être, essayer de vous garder, se sont envolés en fumée. Elle s'est tournée vers l'adoption. A trouvé le couple parfait. Un père médecin, l'autre professeur. Ravis à l'idée d'adopter deux gamins pour le prix d'un. Tout aurait dû bien se terminer.
Elle avait passé le cap des huit mois lorsque le couple s'est séparé. Ont refusé de mener à bout leur engagement, et d'adopter les enfants. Il était trop tard pour reculer, et maman n'avait plus que ses yeux pour pleurer.
Elle a cogné à la porte de sa soeur, fraîchement divorcée. S'est installée dans sa chambre d'amis, le temps de retomber sur ses pieds. Elle n'a jamais réussi, et elle a fini par rester. Par accoucher, et par décider de vous garder. Mais la vie lui a forcé la main — et elle ne l'a jamais oublié.

( deux ) (tw: famille dysfonctionnelle) Votre tante s'est mieux occupée de vous que votre mère. Maman était là, maman travaillait, maman vous aimait, mais maman était à peine assez responsable pour vous donner la stabilité dont vous aviez besoin. Sa soeur s'est assurée que vous grandissiez de manière plus équilibrée. Elle a supervisé vos amis, vos devoirs, vos sorties. Votre apprentissage de la lecture et du calcul, les sports qu'elle trouvait important que vous faisiez. Elle s'est pliée en quatre pour vous donner une enfance qui fonctionnait — avec, toujours, l'ombre de maman pour soupirer. Pour se réclamer votre mère, lorsque ça l'arrangeait. Pour trouver que votre tante en faisait trop. Vous volait.
Un jour, elles se sont disputées. La cohabitation ne fonctionnait plus, et maman a décidé de mettre les voiles. Elle a voulu vous emmener ; votre tante s'y est opposée. Ton frère a hésité. Le lien maternel était plus important pour lui que pour toi. Il avait le réflexe de te suivre, pourtant — et lorsque votre tante vous a offert de rester avec elle, tu es descendu de la voiture et il t'a suivi. Maman s'est fâchée, et elle est partie. Vous aviez dix ans, et vous ne l'avez que trop peu revue depuis.

( trois ) Tu as grandi avec JJ. Vous viviez dans le même quartier, jouiez sur le même terrain de jeu. Tu t'entendais mieux avec lui qu'avec ton frère, qui préférait la plupart du temps jouer seul. JJ et toi êtes vite devenus inséparables. Il a été ton échappatoire de cette gémellité qui, parfois, te pesait. Ce frère choisi, plutôt que celui que la vie t'avait imposé.
Vous êtes allés à la même école. Avez été dans les mêmes classes, pour un temps — puis vous vous êtes retrouvés le temps de la récréation. Vous avez tout partagé. Les fou-rires, les délires, les secrets, les bagarres. JJ avait un sale tempérament et, si tu le calmais, tu avais aussi tendance à te jeter la tête la première dans les bastons qu'il provoquait pour l'épauler. Par loyauté. T'aurais fait n'importe quoi pour lui, durant des années.
Jusqu'à Nevi.

( quatre ) Tu n'avais ni les moyens ni le talent pour rentrer à l'université — et tu n'en as pas rêvé, contrairement à ton frère. Vous avez pris des chemins légèrement différents, sans pour autant être capables de vraiment vous quitter. Tu lui as prêté plus d'argent qu'il ne t'en rendra probablement jamais. Tu avais pris l'habitude de travailler avant même de graduer du secondaire, désireux de te faire un peu d'argent pour t'acheter l'appareil photo dont tu rêvais. Tu as continué dans cette lancée après l'école, sans jamais vraiment t'arrêter. Faisant valoir tes photographies dans les concours et, plus récemment, dans quelques expositions. T'as fait ton chemin, lentement mais sûrement. Devenant de plus en plus difficile sur les boulots que tu fais. Les contrats que tu acceptes. Mais t'as quand même besoin de mettre de la bouffe dans le frigo, et t'as beau être fier, tu ne te laisseras pas sombrer dans la galère.
Ton frère, lui avait pour ambition de vivre de son art. De ne s'abaisser à rien d'autre. Et si tu peux le comprendre, tu lui en as voulu de foutre ça sur le dos de ta tante et toi. À ne pas savoir garder un boulot — et à ne pas vouloir. À vous emprunter de l'argent, tout le temps.

( cinq ) T'es resté proche de JJ, une fois que l'école a été finie. Il a pris un peu son chemin, a fait sa vie, mais vous avez continué de vous voir aussi souvent que possible. Et puis il y a eu Nevi.
Tu ne pourras jamais oublié le soir où vous l'avez rencontrée. Une soirée organisée par des connaissances en commun — tu y étais allé avec JJ, mais c'est elle que tu as regardée toute la soirée. Vous avez parlé. Vous vous êtes bien entendus, dans la mesure où tu pouvais l'entendre au travers du bruit, où tu as géré tes humeurs pour l'approcher. Ton coeur s'est emballé. Quand t'as voulu en parler avec JJ, le lendemain, il t'a devancé. T'exprimant en grandes pompes son intérêt pour Nevi, et le coup de foudre qu'il avait eu. Te disant qu'il avait envie de lui proposer un rencard. Te demandant où tu pensais qu'il serait mieux de l'emmener.
T'avais le coeur pris dans la gorge, et tu l'as ravalé. Jamais tu n'as parlé à JJ de ce que tu avais ressenti à l'égard de Nevi. Il avait été le premier à en parler. Et par affection pour lui, tu n'as pas voulu t'interposer. Tu as tué la compétition avant même qu'elle puisse exister. T'éliminant, pour ne pas avoir à le blesser.

JJ et Nevi se sont mis ensemble, et tu as été obligé de la côtoyer. Tu as cru que ton crush passerait, mais rien n'y a fait. Tes sentiments n'ont fait qu'accroître. Tu en as pris peur. Plutôt que d'essayer de t'expliquer, plutôt que d'en parler à JJ, ou de te soutirer de toutes les situations où tu aurais pu croiser Nevi, tu as décidé de tout cacher. Tu t'es armé d'une froideur et d'une verve sur lesquelles tu as, peu à peu, perdu le contrôle. Tu voulais rester distant, mais tu es devenu méchant. La détestant pour essayer d'oublier tes réels sentiments. Ta chance perdue. Ce qui n'arrivera jamais.
Mais quoi que tu fasses, qu'importe l'aigreur et le mépris que tu continues d'afficher, t'es pas capable d'arrêter de l'aimer.

( vrac ) Tu as adopté un chat, il y a deux ans de ça. La petite femelle et toi vous entendez à merveille. Tu as découvert récemment qu'elle attendait des petits, et tu prévois les faire adopter. Te demandant si tu ne vas pas en garder un ou deux, au passage. ( ++ ) Tu as rencontré Vida peu après que Nevi se soit mis avec JJ — et tu ne sais pas comment tu aurais fait sans elle. Tu t'es réfugié dans cette nouvelle amitié, passant le plus de temps possible avec elle, et de moins en moins avec JJ. Tu ne lui as pourtant jamais avoué la vérité. Prétextant que tu ne supportais pas Nevi, et t'en servant pour justifier ton éloignement. Ton secret est bien gardé. Lourd à porter. ( ++ ) Tu as tendance à faire passer tes proches avant toi. Sacrifiant ce que tu pourrais avoir pour leur en faire profiter. Tu l'as fait toute ta vie avec ton frère, et tu l'as reproduit avec JJ. Tu en es aujourd'hui fatigué, mais tu ne sais pas comment arrêter. C'est cette part plus douce de toi. Bienveillante, aimante. Tu ferais n'importe quoi pour les gens que tu aimes, et c'est un fait. ( ++ ) Tu as cependant un caractère bien à toi. Piquant à bien des écarts, tu caches ta sensibilité derrière une carapace de cynisme et d'irritabilité. T'es de bonne humeur, t'es souriant, t'es joueur et fêtard — mais t'es dur. Entier. Toi-même. Tu sais ce que tu veux, et ça te donne une tête de cochon que les gens adorent, ou détestent. Sans juste milieu. ( ++ ) Quand t'as une idée derrière la tête, tu n'es pas capable de t'en débarrasser. Plus on essaie de te faire abandonner, plus tu t'y accroches. Ça rend fous tes proches, mais ils ont fini par s'habituer. ( ++ ) Tu vieillis sans changer. Toujours dans l'âme grunge et emo que ton adolescence t'a léguée. Ton casque sur les oreilles pour te plonger dans ton monde, tes t-shirts de groupe de musique pour t'habiller. T'écoutes le même hard rock que quand tu avais quinze ans, et tu ne vois pas ça changer. ( ++ ) Tu sais rarement quoi faire de tes cheveux. Quand il n'y a rien à sauver, tu ne fais qu'enfiler un bonnet — qu'importe la température qu'il fait. ( ++ ) Tu as un oeil perçant. Tu l'as toujours eu. Tu prenais des photos pour ton frère, pour ses amis, et on te disait que tu étais bon. Tu as vite pris goût à la photographie, et la passion ne t'a jamais quittée. Tu aimes prendre des photos du vivant. Les animaux, les gens. Tu veux capturer la vie. Tu ne sais pas quoi en faire, parfois, mais tu fais ta place dans le monde de la photographie à ton rythme. Et t'es bon. Ça aide, parfois. Sauf quand tu dois payer ton loyer, à la fin du mois. ( ++ ) Tu n'apprécies pas tous les contrats. T'essaies de ne pas être snob comme ton frère peut l'être — mais c'est parfois plus facile à dire qu'à faire. Les mariages paient le mieux, mais tu les détestes plus que tout autre boulot. Tu ne t'y résous qu'en dernier recours. Ce qui est de plus en plus souvent, ces derniers temps. Plutôt que de demander à ton frère de te rendre un peu d'argent. ( ++ ) T'as passé ton permis moto y a un an et demi. T'as économisé pour t'en acheter une bon marché. Tu te déplaces essentiellement comme ça. ( ++ ) Tu as toujours eu la main verte. Ton appartement déborde d'ailleurs de plantes — mais tu as fait tes recherches pour t'assurer qu'aucune ne serait toxique pour ton chat, si d'aventure elle se découvrait une passion pour les grignoter. ( ++ ) Tu as une allergie sérieuse aux fruits de mer. Tu as appris, en grandissant, à faire attention à ce que tu mangeais au restaurant, et à faire attention à la contamination. Dans le doute, tu te promènes toujours avec un Epipen sur toi. Tu préfères, pour cela, manger chez toi — même si tu n'es pas un cuisinier extraordinaire. ( ++ ) Tu as la fâcheuse manie d'être un peu trop sur ton téléphone. Curieux, fouineur, tu ne crois pas tout ce que tu lis mais tu aimes te tenir au courant. Te renseigner. T'inspirer. Et si la conversation ne t'intéresse pas vraiment, ou que tu ne t'y sens pas intégré, tu n'auras aucun scrupule à sortir ton téléphone pour scroller. ( ++ ) Tu as eu ton premier tatouage avant même d'être majeur. Ta tante s'en fichait — c'était ton argent. Tu n'as ralenti sur les tatouages qu'il y a un an, à peu près, lorsque tu as commencé à avoir besoin de surveiller davantage tes dépenses. ( ++ ) Tu as bossé à temps plein dans une petite animalerie d'Oceanside durant deux ans, avant de réduire considérablement ton nombre d'heures en début d'année. Il t'arrive encore de faire quelques petits quarts de travail, ou des remplacements, pour arrondir tes fins de mois. ( ++ ) Tu n'as jamais connu ton père. Ta mère ne vous en a jamais parlé non plus. Il n'y a que lorsque ta tante s'est mariée, il y a trois ans environ, que ton frère et toi avez expérimenté pour la première fois la présence d'une figure paternelle dans votre vie. Vous étiez cependant déjà presque majeurs, et indépendant. Vous appréciez le type, mais ça s'arrête là. Tu n'as pas de père, et vous vivez tous très bien avec ça.